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De rien.

3 mars 2012

Chapitre I : l'Autre.

CHAPITRE I

L’autre.

 

 

 

 

Le Futur.

 

 

 

Voilà qui a inspiré bien des auteurs,  des cinéastes, des illuminés en tout genre. Il a exalté plus d’un homme, plus d’une femme, sur des théories plus ou moins loufoques, plus ou moins complexes.

 

S’ils avaient su.

 

En fait, le futur n’est qu’une imparfaite copie du passé.Pleine d’anachronismes. Un cycle dira-t-on. Il y a 50 ans, on pensait qu’à cette date, nous serions une civilisation se déplaçant en voiture volante, une société oisive aidée par des robots de toute part.

Retour au Moyen Âge.

 

 C’est ce que pense Andreas, contemplant les lézardes sur le mur de ce qui fut sa maison familiale. Il n’y a pas de fin, mais de maints retours en arrières.

 

 Il n’est pas nostalgique cependant. Non.  Il porte un constat froid, mais juste sur la réalité. Il n’y éprouve aucune émotion. Il ne peut pas.  Se lamenter, regretter le passé est inutile. D’ailleurs, c’est devenu pour lui une question de survie. Plagia d’Épicure, il s’était bâtit cette maxime «   Penses à hier, tu pleures ;  penses à demain, tu trembles de peur ; c’est dans l’instant  ton seul bonheur. »

 

Une simple bouffée d’air.  La chaleur d’un rayon soleil. Il lui en faut si peu à lui qui n’a rien. Plus loin qu’une quelconque philosophie, c’est surtout  l’unique condition à sa santé mentale. Seul moyen d’affronter la solitude, le manque de ceux qu’il a connu.

 

Un frisson. Du froid. Ça, c’est pas du plaisir .L’hiver. Il va finir par  arriver. S’il y avait des arbres, il verrait leurs feuilles commencer à se détacher, vers cette époque.

 

Pensons pratique.

 

Le froid va finir par arriver. La Guerre fût clémente de se terminer avant le début de l’été. Il n’aurait pas survécu ces trois derniers mois si il avait fallut s’extraire des décombres avec les mains rougies par l’onglet, dans la moiteur gelée  de l’hiver Breton. 

 

 Il a eu moins de problèmes  à enterrer rapidement ce qui restait de sa mère et ses deux frères  dans le sol meuble de juillet. Pour éviter l’odeur. Il n’y repense jamais.  Il les a enterrés sans un pleur. Non pas qu’il ne les aimait pas. Juste qu’il a compris dès la première heure qu’il ne fallait pas rester dans ce passé trop noir pour être remémoré.

 

Il  regarde le vieux radio-réveil posé à côté de son lit. 14H00. Oui, il a l’électricité. Après le bombardement, tous les réseaux électriques ont été coupés, mais il avait réussi à escalader jusqu'à son ancien grenier où avaient survécu, par miracles, de vieux livres de cours d’électricité de son père.  Grâce à cela, et aux débris d’appareil électroniques retrouvés dans les ruines environnantes, il a pu fabriquer un alternateur entraîné par de petites éoliennes. Cela aussi, a été un plus pour sa survie. Il peut faire fonctionner un antique micro-onde datant de 1990, une époque où on construisait solide. Il a aussi trouvé un petit frigo, qui lui permet de garder la nourriture en cas de bonne pêche pour se nourrir les jours moins cléments. Il a une poêle, qu’il lave à l’eau de mer. Le sel désinfecte. Grâce au micro onde et au frigo, il a réussi à dessaler de l’eau pour la rendre plus potable.

 

Il pense que peu de gens ont réussi à avoir un tel « confort » de vie. Tout le monde n’est pas mort non. Il  croise des gens de temps en temps.  Au loin.  Un bon nombre de survivants ont fini par devenir fous. La solitude, la tristesse, le regret, l’incompréhension les ont ruinés. Autant de facteurs de perte d’esprit  qu’Andreas a ignorés. 

 

C’est l’heure. L’heure ou la  marée n’est ni trop haute, ni trop basse, l’heure de la pêche. « Saint Malo : les plus grandes marées d’Europe » avait clamé les panneaux publicitaires dans une autre vie. Un avantage pour diversifier sa nourriture : Andreas pouvait de temps à autres garnir sa table de quelques coquillages qui ne se trouvent qu’en grande marée basse.

 

Il est surréaliste de penser qu’il a pu vivre trois mois en se nourrissant exclusivement de poissons.  La pêche n’est pas aussi clémente. Les premier temps, il  a pillé les restes de nourritures encore comestibles dans les logements  dévastés aux alentours.  Forcé de tout manger froid tant qu’il n’avait pas bricolé ce système électrique. Faire un  feu avec des morceaux de charpente aurait attiré des âmes perdues aussi affamées que lui, et tout aussi dangereuses.

 

Il sort de sa chambre, ferme sa porte à clef. Traverse le petit palier, ouvre la porte de la chambre d’en face, qui fut celle de ses parents. Un courant d’air. Le Froid. Il boutonne le haut de son blouson de cuir. Le cuir, ce n’est pas pour la mode. C’est juste qu’un blouson de motard coupe du vent, est renforcé aux coude, est solide. Parfait  pour sortir Dehors. Il vérifie le chargeur de son Sig Sauer. Fait glisser la culasse, arme le cran de sûreté. La première chose qu’il a récupérée après le bombardement. Le commissariat était à 100 mètres.  Il avait compris qu’il aurait plus besoin de se battre que de collaborer.  Que l’Autre soit Français ou Chinois, d’ailleurs. Après de tels événements, seul  l’individualisme prône.

 

Il accroche l’épée courte à sa ceinture, dans son fourreau de cuir de ceintures et de draps découpés.L’étui,  il l’a fait lui-même. L’arme, Andreas l’a trouvée au musé de la ville, lui aussi assez proche.  L’avantage, c’est qu’une épée a des munitions inépuisables.  Le revolver sert pour les cas désespérés.

 

Il s’empare de l’échelle de corde, enjambe l’ancienne porte fenêtre pour accéder au balcon. Il fixe l’échelle aux  piliers de la rambarde écroulée. Il descend dans la rue, vigilant au moindre bruit. Grâce à un habile système de nœud, il détache l’échelle et la fourre dans son sac.

 

                L’escalier de la maison est encore utilisable, mais il a bouché son entrée pour éviter que des rôdeurs n’accèdent trop facilement à sa demeure. C’est pour cela qu’il entreprend tout les jours cette escalade. La ruine a gardé par miracle deux portes condamnant l’entrée : la porte entre le garage et la partie habitable ainsi que la porte d’entrée. Mais il va sans dire qu’à une pareille époque une porte n’était pas un obstacle assez grand à l’intrusion. D’autant plus que la porte d’entrée à  moitié fondue n’a pas fière allure.

 

                Prudemment, Andreas traverse les deux rues qui le mènent à la jetée, face à la mer.   Il descend sur la plage.  Là, au milieu de cette vaste étendue de sable, il se sent en sécurité. A mi-marée, la mer découvre toujours une distance de sable impressionnante. Il peut voir de loin n’importe quel danger. Il peut voir tout ce qui est à porté de tir de lui.

 

 Il est seul, et il peut le voir. 

 

Apprécier le calme. Le bruit du vent sur le sable, le lointain vacarme des vagues. Il  n’y a pas de cris d’oiseaux. Depuis le début de la guerre,  les goélands avait disparus lentement du rivage. Plus de gros touristes rougis par le soleil pour nourrir la volaille de glace chocolat pistache. Plus d’amoureux en vacances lançant des miettes aux bestiaux en se tenant niaisement par la main.

 

                Le calme.

 

                Il s’avance vers le Fort National. Fort Royal avant la révolution. Gloire de Vauban. Gloire du Roy. Puis gloire de la Nation. Gloire, Gloire Gloire…  Et maintenant ? Gloire aux Herbes,  Reines absolues du bâtiment désormais dévasté par les bombes.  Il a pourtant l’air plus beau, maintenant. Son contour incertain, érigé en face de la mer comme la vaine trace d’un passé séculaire, semble être le vestige d’une tragique épopée.

 

                Andréas escalade quelques rochers, saute au dessus des plis de la roche. Il faut faire attention à ne pas mouiller les chaussures. Les mares laissées par la marée en descendant sont traitresses. Avoir les chaussettes mouillées, c’est désagréable.

                Finalement arrivé, il s’assoit. Il déroule sa ligne, l’attache au bout de sa canne à pêche. Cette canne est en fait un simple barreau de chaise percée à son extrémité pour pouvoir attacher la ligne de  nylon. C’est une vraie ligne. Il l’a trouvée, ainsi que les hameçons dans le garage de son voisin. Il y avait aussi une vraie canne à pêche, mais malheureusement pas transportable au cas où il faudrait courir vite, escalader, et pour toute autre activité pratiquée usuellement dans une ville en ruine.

                Il attend que ça morde. Ça peut mettre du temps, parfois.il  n’a jamais essayé de chasser. Il ne sait pas chasser. Il ne sait pas trouver le gibier. Et puis, les bois sont  trop loin pour qu’il ose s’y aventurer. Andreas ne va jamais très loin, il se méfie des Autres.

 

                Sa canne vibre. Déjà ? Oui. Un premier poisson. Peut être une bonne journée.

 

                Un bruit de pied qui glisse sur la roche.

 

                Derrière lui.

 

                Un Autre ?

 

                Battement de cœur. Adrénaline qui  parcoure violement  son corps.

 

Il n’a pas le temps de tourner la tête, de s’emparer d’une  de ses armes : par derrière, deux mains serrent violement son coup.  Douleur. Grimace. L’air lui manque. D’un geste réflexe, son talon droit vient se loger dans les deux testicules de l’Agresseur. Précis. Celui-ci, à son tour le souffle coupé, se retrouve instantanément  les genoux au sol, les mains sur ses parties endolories, la nuque baissée.

 

                Andréas dégaine son épée et pivote d’un ample geste, rassemblant toute son envie de vivre dans ce coup destiné à décapiter son adversaire. Son pied glisse sur une algue. Il manque de tomber, rate son coup. Il se redresse, relève son épée vers l’Autre. Celui –ci recule sur ses fesses, tant bien que mal. Tant de rage était  accumulé dans ce coup raté qu’Andreas se sent tout d’un coup fatigué. La haine soudaine qui l’a envahit ne le brûle plus autant, alors qu’il a la gorge de l’Autre au bout de son arme. Profitant de ce bref instant de vide celui-ci prononce

 

« J’ai faim ! »

 

Andreas le sent soudain.  L’envie. La peur. Des émotions. L’être qu’il a en face de lui… C’est un Homme. Andreas abaisse légèrement sa lame. Respire l’air salé. Son regard lui semble soudain flou, il ne regarde rien, ni la roche, ni l’homme devant lui. Il le sent soudain. Lui aussi est un Homme. Ce n’est pas un  « Il », cet Andreas est un Homme. Il sent, ressent.  Il  aime. Il ressent  d’un coup la violente solitude.  Il sent la perte des êtres chers, l’envie de la chaleur humaine, de l’affection d’une femme.  Ces mots qu’a prononcés l’étranger sont les premiers qu’il ait entendus depuis trois mois.  Le jeune homme  avait déjà tué, mais ces être qui s’étaient jetés sur lui pour tenter de le dépouiller étaient  pour la plupart fous et n’avaient  plus de langage articulé.

 

                L’Homme en face d’Andreas a parlé, un geste d’humanité qui  a soudain transpercé le jeune homme. Il ne baisse pas son épée, mais regarde l’homme dans les yeux, un rictus de colère aux lèvres.

«

 

- Pourquoi vouloir me tuer alors ?

 

  - Pourquoi vas-tu me tuer ?

 

  - Peu être que si tu m’avais demandé…  j’aurai accepté de partager quelque chose.

 

  -Partager ?

 

  -Partager.

»

L’homme est comme arrêté. Il ne comprend pas. Andreas non plus ne comprend pas.  Ils ont tout les deux perdu depuis si longtemps le sens du social.  Tant de mots sortis de leurs bouches en si peu de temps. Les vibrations de leurs cordes vocales les immobilisent. La situation est sordide, Andreas devrait en finir maintenant. Mais l’Autre homme parle.
« 

-Peut être. Je ne sais pas. Je ne sais plus. Je… Je n’aurais… Je n’aurais jamais pensé que tu… Vous…que quelqu’un me donne quelque chose, à nouveau… même parler, ça me semble…Mais je sais ce que j’ai fait. Je sais ce que je mérite. Je ne voulais pas te… Vous tuer directement, juste vous immobiliser, vous rendre inconscient pour tenter de récupérer un morceau de votre pêche. Mais c’est vrai que votre mort aurait été un accident, qui n’aurait pas entaché ma conscience…  Mais en ai-je encore une ? » Il se pose la question à lui-même. Il regarde dans le vide. Son regard attrape soudain celui du jeune homme.

 

« Allez-y faites ce que vous avez à faire, tuez-moi. La faim me torture trop. La soif va bientôt me pousser à avaler l’eau de mer. Cette mort là est bien pire. Finissons-en »

 

Il ferme les yeux. Il a vu tellement de scènes de films ou des héros sont dans cette posture, attendant d’être sauvé par un gentil soudain magnanime. L’homme comprend que tous ces clichés sont si mal joués par les acteurs. Il a vraiment envie de partir, de ne plus sentir cette douleur en lui. Mais il regrette. De ne pas vivre encore.

 

« Assied-toi là. »

 

L’homme ouvre les yeux, sans comprendre le sens de cette phrase, qui n’a rien de ressemblant au bruit d’une épée qui brise l’os de sa nuque. Andreas est assis sur les rochers, dos à lui, face à la mer.

 

Lentement, l’homme bouge, s’assoit.

Andreas tend un gâteau sec à l’homme, sans le regarder.

Avide et tremblant, il répond à ce geste : « Merci »

 

Andreas veut répondre merci à son tour. Merci de m’avoir fait sentir quelque chose. Merci d’avoir touché mon âme. Enfin. Mais il ne dit rien. Un vieil instinct humain lui fait comprendre qu’il ne faut pas qu’il montre ses sentiments. Il  a beaucoup à gagner de son geste, finalement. Oui. L’instinct politique reprend le dessus.

                Affamé, l’homme  dévore le biscuit. Ce si peu de nourriture aiguise son appétit qui semblait s’être habitué aux privations. Il sent des crampes dans son ventre à chaque goutte de salive qui parcoure lentement son système digestif, accompagnant les précieux nutriments  nécessaires à sa survie.

 

                Andreas regarde l’horizon. Rien ne mort à l’hameçon. Il ne sait pas ce qu’il ressent. Il se retourne. Regarde l’homme.

 « Viens »

Il se lève range méthodiquement sa canne à pêche improvisé.

L’homme plisse brièvement les yeux, en un instant de doute. Une maigre seconde passe.

 

« D’accord. »

« Marche devant moi.»

 

Andreas n’a  malgré tout pas entièrement  confiance en l’Autre. Mais il sent sa présence presque rassurante.

« On descend des rocher. On se dirige vers les murs de la digue, en face. »

« Ce… C’est dangereux ? »

« Y’a-t-il un endroit que tu as traversé qui n’est pas dangereux ? »

« Non, bien sûr, mais je veux dire… y’a quelque chose en particulier auquel je dois faire gaffe ?Je viens pas d’ici. »

« Non. »

« Vous voulez m’utiliser comme un bouclier humain ? »

« Non. »

« Pourquoi voulez vous que je marche devant  alors ? »

« Tu poses beaucoup de questions »

« Excusez-moi. »

« Je n’ai pas confiance. Tu as déjà essayé de me tuer, je te rappelle. Avance. Je veux te voir. »

«Je… »

« Avance ! »

 

 

 

L’autre se tait enfin. Ils descendent de l’amas rocheux. Marchent sur le sable mou. Ils se dirigent vers le mur de pierre de trois ou quatre mètres au loin en face d’eux.  Écroulé en de nombreux endroits, il servait de digue pour protéger de la marée et des vagues. Les immenses brèches dans la muraille font qu’elle ne protège plus rien du tout, désormais.  A chaque fois que la marée augmente, les rues sont inondées. Après quelques minutes de marche, ils arrivent à la digue. Là se trouve un escalier,  possédant encore miraculeusement assez de marches pour pouvoir remonter sur la jetée. Andreas  lui fait signe de s’arrêter. Il monte quelques marches, inspecte la chaussé. Personne. Ils repartent, aux aguets. Le sable apporté par la mer a envahit les rues qui ne sont plus assez protégées par la digue. Des algues en décomposition sont échouées ça et là. La marrée d’équinoxe a fait de gros dégâts. Le rez-de-chaussée de l’abri d’Andréas a été envahit par le sable et l’eau. Lui, au dessus, n’a rien eût, et la maison a tenu bon. De la bonne vieille construction d’avant guerre.  Il a remercié le béton armé.

 

Ils s’arrêtent devant elle. Andreas regarde l’autre, le visage froid. La bouche crispée. Il a comme un doute au fond de lui.  Il s’apprête à faire pénétrer dans son repère quelqu’un d’autre. Son unique lieu de survie. Son antre.  N’est ce pas trop de risque que d’y faire pénétrer cet étranger ? Il ne sait pas.  Quelque chose au fond de lui le  pousse. Il en a envie. Il en a même besoin. Quelques soient les risques ?

 

Oui.

 

« C’est là. Là que j’habite. »

 

Andreas sort de son sac l’échelle de corde et de tissu munie du crochet adéquate. Il la lance sur le balcon. Le crochet s’accroche comme prévu au reste de poteau qui soutenait, quand il était encore en place,  le garde corps.

 

« Monte. »

 

L’autre aussi hésite. Il a conscience de dépasser l’intimité d’Andreas. Il sent que la situation a une dimension particulière. Mais il obéit et grimpe l’échelle improvisée. Andreas le suit.

 

 Le jeune homme replie lentement et avec précaution l’échelle. Il ouvre l’ancienne porte fenêtre, et ils pénètrent dans la maison.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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